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  • Photo du rédacteurLaurence Lépine

Traumatismes en héritage

Conférence donnée par Isabelle Mansuy, biologiste et neurogénéticienne à l’Université de Zurich l'université de Zürich et à l'école polytechnique fédérale de Zürich.

Novembre – décembre 2014



Avec son équipe, Isabelle Mansuy a étudié les effets de l’environnement sur notre patrimoine génétique, ainsi que la transmission des altérations de l’ADN aux générations suivantes.

Elle commence sa présentation en prenant le cas de « vrais jumeaux » (monozygotes, c’est-à-dire issu du même œuf) : bien qu’ils aient reçu exactement le même patrimoine génétique, ces jumeaux peuvent présenter de grandes différences en terme de santé et de comportement parce qu’ils auront été exposés à des facteurs environnementaux différents : alimentation, expériences de vie (traumatiques ou bénéfiques), usage de drogues, exposition à des produits chimiques ou radiation, pollution, style de vie (sport, hygiène, etc.).

Elle nous explique que cette influence de l’environnement sur notre patrimoine génétique se poursuit tout au long de notre vie, depuis notre conception, où nous sommes à l’état de gamètes, jusqu’à notre mort. Ainsi si l’on étudie le génome d’un bébé, puis qu’on l’étudie à nouveau 3 ans plus tard, le génome sera déjà totalement différent !

Ensuite pour aborder le thème de la transmission de ces altérations de l’ADN dues à l’environnement, elle se réfère à des études réalisées sur les conséquences de la famine sur la santé des personnes touchées et de leur descendance. Il a été observé que la famine avait des conséquences non seulement sur les femmes enceintes au moment de la famine, mais aussi sur leurs enfants, et sur leurs petits-enfants. Pourquoi ? Parce que les cellules germinales (les cellules qui contiennent le patrimoine génétique) des enfants qui sont fabriquées pendant la gestation sont altérées par la dénutrition de la maman. Cela prouve donc l’influence de l’alimentation, comme facteur environnemental, sur l’ADN, et sa transmission générationnelle.

Un autre facteur environnemental démontré comme ayant des conséquences sur l’ADN, est le vécu d’expériences traumatiques pendant l’enfance et l’adolescence qui peuvent entraîner le développement de maladies ou de troubles psychiatriques à l’âge adulte. Ce constat a été fait de manière empirique en hôpital psychiatrique, constatant qu’une grande majorité des patients avaient vécu des expériences précoces traumatisantes, qu’elles soient des violences physiques ou psychologiques, des abus physiques ou sexuels, des négligences ou des abandons. Les patients observés présentent des troubles allant de la dépression, désordres de la personnalité, schizophrénie, comportements anti-sociaux, addictions aux tentatives de suicide.

De même il a été observé qu’il y avait des « terrains dépressifs », des familles sujettes aux troubles psychiatriques ou psychiques. Pendant longtemps, les scientifiques ont cherché l’existence d’un « gêne de la dépression », mais sans aucun succès. Alors comment expliquer ces terrains psychiques fragiles se transmettant de génération en génération ?

Partant de l’hypothèse que ces altérations de l’ADN tout au long de la vie pouvaient se transmettre également aux descendants, l’équipe d’Isabelle Mansuy a conduit un certains nombres d’expériences sur des souris pour valider ou invalider ce postulat.

Elle nous explique que l’ADN, les gênes, sont comme un circuit intégré qu’on hérite de nos parents, mais qu’il faut ensuite des logiciels pour opérer ce circuit : c’est le rôle des mécanismes épigénétiques, qui sont comme des marques sur les gênes et qui vont activer ou inhiber le gêne. Ainsi lorsqu’on est exposé à un traumatisme dans la petite enfance, cela va avoir un impact, modifier, le mécanisme épigénétique qui, par exemple, veille au contrôle des émotions, ce qui pourra avoir pour conséquence chez la personne une altération de son comportement en lien avec ses émotions.

Elle nous rappelle que le lien biologique entre les générations se fait uniquement à travers les cellules germinales. Or les traumatismes précoces modifient les cellules germinales, et donc affecte la santé et le comportement.

Elle nous déroule ces différentes expériences conduites sur des souris, et à chaque fois, les résultats sont probants et édifiants. Les facteurs environnementaux stressants peuvent conduire chez les personnes exposées à ces facteurs, à l’apparition de comportements anti-sociaux, de dépression, une altération de la mémoire, et une modification du métabolisme (notamment du glucose et de l’insuline – le stress contribuant à l’augmentation du glucose dans l’organisme), car ils affectent les neurones, les cellules germinales et la composition du sang chez les personnes exposées. Et ces symptômes s’observent avec la même intensité, voir encore plus fort, chez la descendance et ce jusqu’à la 4e génération.

Suite à ces expériences, cette équipe de biologiste en a donc tiré la conclusion que le patrimoine génétique est modifié par un certain nombre de facteurs environnementaux, et que les altérations du génome se transmettent aux générations suivantes. Si l’on pense que, pour beaucoup d’entre nous, nos grands-parents et arrière grands-parents ont connu la 1e et 2e guerre mondiale, on peut mesurer l’impact de cette découverte dans notre quotidien…

La bonne nouvelle c’est que ces altérations du patrimoine génétique se font dans les deux sens : en négatif (apparition de symptômes, de troubles psychiques ou physiques), mais aussi en positif. Donc rien n’est irréversible ! En effet son équipe commence aussi à observer que des souris ayant été exposées à des facteurs de stress, puis placées dans des « environnements enrichis », c’est-à-dire avec plus de jeux, de nourriture, d’espace, se soignent naturellement, au bout de quelques semaines, de leur dépression, ou font preuve de meilleures résistance ou flexibilité dans des situations stressantes. C’est aussi ce qu’on observe chez les humains, quand on voit que des personnes ayant vécu des traumatismes dans leur enfance, développent non seulement une résilience, mais aussi une forme de combativité, d’ardeur à s’en sortir dans la vie, et deviennent par exemple, de grands peintres, romanciers, présentateurs TV, etc. Ce qui aurait tendance à valider l’efficacité des soins thérapeutiques, qui en aidant les personnes à guérir de leurs traumatismes, contribuent à réparer les cellules germinales, et donc à stopper la transmission générationnelle des gênes altérés.

Isabelle Mansuy conclue ainsi sa conférence avec un beau message d’espoir, en expliquant que la « beauté » de l’épigénétique c’est de démontrer les facultés intrinsèques de réparation et d’évolution du génome pour s’adapter à son environnement.

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